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vie quotidienne - Page 5

  • Jean 3. Jésus, que le Nouveau Testament nomme l'Epoux, était-il marié avec Marie-Madeleine ? A propos du Da Vinci Code

    Jean 3
    24.7.2005
    Jésus, que le Nouveau Testament nomme l'Epoux, était-il marié avec Marie-Madeleine ?
    Es 62 : 1-5 Eph 5 : 25-30 Jn 3 : 25-29

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    J'ai annoncé la semaine passée que je répondrais ce dimanche à la question : Jésus était-il marié avec Marie-Madeleine ? Cette question se pose après l'affirmation du romancier Dan Brown, l'auteur du Da Vinci Code que Marie-Madeleine était l'épouse de Jésus et qu'elle lui avait même donné une fille et créé ainsi ce que le romancier appelle "une lignée de sang royal." ¨
    Pour étayer sa construction du mariage de Jésus, le romancier se base sur deux citations d'un texte apocryphe (c'est-à-dire qui a été déclaré hérétique et n'est donc pas entré dans la bibliothèque du Nouveau Testament), texte qui se nomme l'Evangile de Philippe, où Marie-Madeleine est déclarée être la "compagne" de Jésus (EvPhil §32 et §55).
    Nous avons vu la semaine dernière quelle place le Nouveau Testament accordait à Marie-Madeleine, c'est-à-dire une place importante de premier témoin de la résurrection, une place de quasi-apôtre — place qui est plutôt atténuée dans les Evangiles du Nouveau Testament, place qui est plutôt amplifiée dans les textes apocryphes ! En effet, les trois textes apocryphes qui parlent de Marie-Madeleine (Evangile de Philippe, Evangile de Thomas, Evangile de Marie[-Madeleine]) la mettent en scène (i) comme une rivale de Pierre pour la place de premier disciple; (ii) comme la plus aimée des disciples par Jésus (les disciples demandent même à Jésus "Pourquoi l'aimes-tu plus que nous tous ? " (EvPhil §55) mais nous n'avons malheureusement pas la réponse de Jésus); (iii) finalement comme "compagne" de Jésus. Alors, peut-on dire d'après cela que Jésus était marié, qu'il avait une épouse ? Si notre réponse est oui, Marie-Madeleine est la seule candidate plausible comme épouse.
    Donc la question de base est de savoir si Jésus était marié ou non. Dans le contexte du judaïsme du temps de Jésus, tout homme avait le devoir de se marier et d'avoir des enfants. Le célibat était très mal vue et certains chercheurs pensent que si Jésus n'avait pas été marié cela aurait été dit et expliqué, pour ne pas dire excusé. Cependant, on peut observer que Paul — l'apôtre — bien que juif accompli selon ses dires, n'était pas marié. On ne nous dit rien non plus de l'état civil de Jean Baptiste. Il y avait aussi le groupe des "nazirs", des consacrés à Dieu qui ne se mariaient pas, tout comme les membres de la secte des esséniens. Il y avait donc très probablement un célibat religieux tout à fait accepté, au point qu'on n'en parlait pas.
    Dans l'autre sens, on nous parle toujours de la famille de Jésus comme étant composée de sa mère et de ses frères (Mt 12:46; Ac 1:14), Si Jésus avait fondé une famille, on parlerait de sa femme et de ses enfants. Le silence des Evangiles plaide plutôt en faveur du célibat de Jésus.
    Cependant, à plusieurs reprises, Jésus est identifié par les rédacteurs des Evangiles comme étant l'Epoux. Nous l'avons entendu dans la bouche de Jean Baptiste (Jn 3:29), nous le retrouvons dans la parabole des Dix vierges folles ou sages (Mt 25:1ss) et souvent dans l'Apocalypse (Ap 18:23; 21:2).
    Pourquoi Jésus est-il appelé l'Epoux ? Cette appellation nous renvoie à la lecture de l'Ancien Testament, aux prophètes Osée (chap. 1—3), Esaïe (Es 54:1-8; 62:1-5), Jérémie (chap. 2 et 31) Ezéchiel (chap. 16) qui parlent de l'alliance entre Dieu et Israël ou Jérusalem comme d'un mariage (un mariage plutôt malheureux d'ailleurs où il est question d'adultère et de prostitution). Dieu y est représenté comme un fiancé, un amoureux, un mari qui souhaite faire renaître l'amour de sa fiancée, de son épouse.
    Dans le Nouveau Testament, cette parabole de l'amour de Dieu avec son peuple est reportée sur Jésus et le peuple d'Israël d'abord, puis sur Jésus et l'Eglise ensuite, comme on le voit développé par le rédacteur de la lettre aux Ephésiens. Le thème du mariage entre Dieu est son peuple, reporté sur la personne de Jésus, est une façon d'affirmer la divinité de Jésus. Il est vraiment, non seulement le porteur du message de Dieu, comme un prophète, mais il est Dieu lui-même qui s'adresse à nouveau à son peuple. Une nouvelle histoire d'amour commence, Dieu à nouveau s'approche de son peuple pour lui proposer un nouvel épisode de vie commune.
    Ce mariage du divin et de l'humain est repris dans divers contextes dans les premières Eglises. D'abord dans la théologie paulinienne pour en faire un exemple de vie conjugale pour les couples chrétiens. Il est repris aussi dans le monachisme, où les moines et les moniales deviennent épouses consacrées au Christ. Enfin, cette métaphore est reprise par les milieux appelés "gnostiques" qui prônent un mariage entre le Christ et la Sagesse, la "Sophia."
    C'est dans ce contexte qu'ont été écrits les Evangiles apocryphes où il est dit que Marie-Madeleine est la compagne de Jésus. Un parallèle est fait entre la sagesse et Marie-Madeleine. Comme la sagesse doit devenir l'épouse du Christ, Marie-Madeleine devient la compagne, l'épouse de Jésus, mais dans un sens mystique, d'autant plus que ces textes ont été écrits bien après la mort de Marie-Madeleine.
    Seuls les naïfs — ou les mystificateurs comme le sont les romanciers (pour notre plus grand plaisir d'ailleurs, car que serait un roman s'il ne nous emmenait pas sur les chemins de l'imaginaire ?) — seuls les naïfs donc font remonter ce mariage du vivant de Jésus !
    Dans le Nouveau Testament, Jésus est l'époux de l'Eglise et cette métaphore définit la place et le rôle de l'Eglise. Elle se doit d'être fidèle et vigilante, elle attend le retour de son époux, le Christ ressuscité. Je pense que le déploiement de cette image, de cette métaphore du mariage de l'Eglise avec Jésus, l'Epoux, n'a été possible que parce que — justement — Jésus n'était pas marié !
    Si Jésus avait été marié, il aurait été plus difficile d'en faire l'Epoux de toute l'Eglise. Si Jésus avait été marié, à cause de cette métaphore, il aurait été important et utile de différencier son mariage terrestre et son mariage mystique avec l'Eglise et cela serait apparu dans les textes.
    Tous ces éléments nous persuadent de conclure que Jésus n'était pas marié et donc que Marie-Madeleine n'était pas son épouse. C'est peut-être moins romantique, c'est aussi moins dramatique puisque cela signifie — pour le roman — qu'il n'y a pas de complot des Eglises pour cacher ce mariage… à moins que je ne fasse partie moi-même du complot…!?
    En bonne théologie protestante, c'est à chacun qu'incombe la responsabilité d'interroger les textes pour se faire une opinion personnelle. Les textes apocryphes sont tous accessibles en traductions à la bibliothèque universitaire.
    Donner accès à chacun à la Bible — ce qu'on fait les Réformateurs — et aux autres connaissances — ce que font les facultés de théologie — est le meilleur moyen de dégonfler les idées de complots. Cela permet aussi de lire les livres chacun selon leurs genres, et maintenir les romans dans la littérature de fiction.
    A chacun sa place, sans besoin de censure.


    Le roman :
    Dan Brown, Da Vinci Code, Paris, Ed. Jean-Claude Lattès, 2004.

    Textes des Evangiles de Thomas, de Philippe et de Marie dans :
    Yvonne Janssens, Evangiles gnostiques, Louvain-la-Neuve, Centre d'Histoire des Religions,1991.
    Ev Thomas : pp. 46-62
    Ev Philippe : pp. 100-130
    Ev Marie : pp. 234-238

    © 2006, Jean-Marie Thévoz

  • Jean 20. Marie-Madeleine, un rôle plus important que ne le laissent voir les Evangiles. A propos du Da Vinci Code

    Jean 20
    17.7.2005
    Marie-Madeleine, un rôle plus important que ne le laissent voir les Evangiles.
    Jean 20:1+11-18 Actes 1:12-17+21-26

    Chers amis,
    Dans notre série sur les femmes dans la bible de cet été, j'aimerais parler ce matin de Marie de Magdala ou Marie-Madeleine. Elle est la femme du Nouveau Testament qui est à la mode depuis que le romancier Dan Brown en a fait non seulement une disciple, une apôtre cachée de Jésus, mais aussi son épouse, sa compagne, et plus encore, la mère de l'enfant de Jésus ! Aujourd'hui, nous allons voir tout ce que nous pouvons savoir sur Marie-Madeleine. Dimanche prochain, nous nous demanderons si Jésus était marié et s'il l'était à Marie-Madeleine.
    Alors, que savons-nous de Marie-Madeleine ? Marie-Madeleine est la seule femme — hormis Marie la mère de Jésus — à être nommé dans les quatre Evangiles. Une douzaine de femmes sont désignées par leurs noms dans les Evangiles, mais seule Marie-Madeleine, à part Marie, est présente dans les quatre Evangiles. A première vue, cela pourrait relever du hasard. Mais si l'on regarde à quels événements Marie-Madeleine est attachée, on voit tout de suite pourquoi elle est nommée par tous, pourquoi elle est "incontournable."
    Où Marie-Madeleine est-elle nommée ? Il y a une mention isolée de Marie-Madeleine dans l'Evangile de Luc, ou l'évangéliste (Luc 8:2) nomme trois disciples femmes qui suivent Jésus depuis le début de son ministère, et où il est dit qu'elle a été guérie de sept démons, j'en ai parlé il y a 15 jours. Ensuite, dans les quatre Evangiles, elle est mentionnée au sein du groupe de femme qui est présent au pied de la croix, elle est présente lors de la mise au tombeau et lors de la découverte du tombeau vide le matin de Pâques.
    Les quatre Evangiles désignent en elle le premier témoin de la résurrection de Jésus, elle est la première à avoir rencontré le Christ ressuscité. Et c'est elle qui a été porter cette bonne nouvelle aux disciples. Les témoignages des quatre Evangiles concordent, sont unanimes sur la présence de Marie-Madeleine lors de ces épisodes, même si les noms des accompagnatrices de Marie-Madeleine divergent. Elle était là, elle en a témoigné et son témoignage a été reçu et enregistré par la première Eglise.
    Si certains d'entre vous se souviennent de ce que j'ai montré il y a 15 jours — c'est-à-dire les diverses tentatives masculines des éditeurs des Evangiles pour minimiser le rôle des femmes dans l'entourage de Jésus — alors l'unanimité des Evangiles concernant le rôle de Marie-Madeleine nous conduit à constater la solidité historique de ces récits. Il était impossible de taire le rôle de Marie-Madeleine et le fait qu'elle ait été la première à voir le Christ ressuscité et recevoir de lui la mission d'annoncer cette nouvelle aux autres disciples.
    Cela est particulièrement mis en évidence dans le récit de l'évangéliste Jean. Marie-Madeleine rencontre Jésus dans un moment très particulier, il est ressuscité, mais pas encore monté au ciel ! Dans cette étape intermédiaire — que Marie-Madeleine est la seule à contempler — Jésus donne une mission à Marie-Madeleine :

    "Va dire à mes frères que je monte vers mon Père, qui est aussi votre Père, vers mon Dieu, qui est aussi votre Dieu." (Jn 20:17) Et le récit continue avec ces mots : "Alors Marie de Magdala s'en alla annoncer aux disciples : J'ai vu le Seigneur !" (Jn 20:18)
    Les paroles de Jésus et la réaction de Marie-Madeleine nous disent beaucoup de choses sur sa relation à Jésus et sur le statut de Marie-Madeleine parmi les disciples. D'abord, Jésus l'envoie en mission. Si Marie-Madeleine ne dit rien, n'accomplit pas sa mission, il n'y aura pas de christianisme ! Tout peut s'arrêter là. C'est dire l'importance du rôle que Jésus donne à Marie-Madeleine et la confiance qu'il lui fait !
    La nouvelle que Marie-Madeleine doit annoncer, c'est le renouvellement de l'Alliance telle qu'elle avait été conclue au Sinaï (Ex 6:7) et après le retour de l'Exil (Jr 30:22 et Ez 36:28) qui était proclamée en ces termes : "Je serai votre Dieu et vous serez mon peuple." Marie-Madeleine est donc chargée de transmettre au monde la nouvelle alliance de Dieu en Jésus.
    A qui doit-elle aller proclamer cela ? Là, le texte est intriguant ! Jésus a dit : "Va dire à mes frères…" (Jn 20:17) et le récit continue en disant : " Marie-Madeleine s'en alla l'annoncer aux disciples." (Jn 20:18). Ce petit décalage — qu'on pourrait juger anecdotique, mais dans les Evangiles chaque mot a sa signification — ce petit décalage nous indique — comme en code — que Marie-Madeleine connaît très bien l'enseignement de Jésus, qu'elle a suivi Jésus et entendu ses discours, qu'elle est en quelque sorte une initiée : elle sait que les vrais "frères" de Jésus ne sont pas ceux de la famille par le sang, mais ceux qui "font la volonté de son Père qui est aux cieux." (Mc 3:35; Mt 12:50).
    Cela nous fait comprendre que Marie-Madeleine n'est pas là "par hasard" sous la croix, au tombeau, devant le Christ ressuscité. Elle a fait partie des disciples qui ont suivi Jésus depuis le début, elle était prête pour cette révélation particulière et pour cette mission. Cela nous permet d'affirmer avec certitude — confirmée par le témoignage de Luc (8:2) — que Marie-Madeleine était une disciple, au même titre que les Douze.
    Il y avait des femmes parmi les disciples, au delà des Douze, et même certaines d'entre elles pouvaient remplir les conditions pour être apôtre. Je vous rappelle les conditions énoncées dans le livre des Actes :

    "Cet homme doit être l'un de ceux qui nous ont accompagnés tout le temps que le Seigneur Jésus a parcouru le pays avec nous, à partir du moment où Jean l'a baptisé jusqu'au jour où il nous a été enlevé pour aller au ciel" (Ac 1:21-22).
    Marie-Madeleine, en tant qu'accompagnatrice de Jésus et témoin privilégiée de la résurrection, pouvait être apôtre… l'a peut-être été, à la façon de Paul, au delà des Douze. Mais la tradition du Nouveau Testament n'en a pas gardé le témoignage… à moins que… ?
    Une thèse audacieuse — qui ne fait pas l'unanimité, mais qui s'appuie sur une étude sérieuse des textes — suggère que Marie-Madeleine aurait bien été apôtre, qu'elle aurait même dirigé la communauté dans laquelle l'Evangile de Jean a été rédigé. Une première rédaction de cet Evangile de Jean aurait mis en avant Marie-Madeleine comme une disciple importante de Jésus. Cela aurait fortement déplu aux Eglises créées par les apôtres masculins et aurait conduit à une seconde rédaction de l'Evangile de Jean qui aurait "anonymisé" Marie-Madeleine en la cachant sous "l'habit" du "disciple que Jésus aimait" qu'on retrouve dans divers récits de l'Evangile de Jean (Jn 13:23; 19:26; 20:2; 21:7, 20).
    Bien sûr, le "disciple que Jésus aimait" est présenté au masculin, mais comment mieux cacher une femme dans un texte qu'en lui donnant un rôle d'homme ? Et pourquoi ce "disciple que Jésus aimait" — que la tradition moins audacieuse identifie comme l'apôtre Jean — est-il toujours représenté avec des traits aussi féminins dans les tableaux de la sainte cène, comme l'a relevé pertinemment Dan Brown dans le Da Vinci Code ?
    Ces questions donnent à réfléchir ! Il est difficile d'avoir une certitude à propos de ce rôle d'apôtre de Marie-Madeleine — les documents de l'époque sont malheureusement trop rares pour l'établir — mais la tendance à diminuer le rôle des femmes autour de Jésus étant constatable et établie, il nous est permis d'imaginer — sans pouvoir le prouver — que Marie-Madeleine a eu un rôle important au côté de Jésus et dans la première Eglise. On peut donc imaginer Marie-Madeleine au côté de Jésus pendant le dernier souper.
    Ce que l'écriture voile, peut-être la peinture le dévoile-t-elle ?


    Le roman :
    Dan Brown, Da Vinci Code, Paris, Ed. Jean-Claude Lattès, 2004.

    Sur le rôle de Marie-Madeleine dans le Nouveau Testament et la littérature apocryphe :
    Esther A. de Boer, The Gospel of Mary, London, T&T Clark International, 2004.

    © 2006, Jean-Marie Thévoz

  • Luc 8. Le grain tombe partout. L’occasion est là à chaque instant.

    Luc 8
    29.10.2006
    Le grain tombe partout. L’occasion est là à chaque instant.
    Ps 126 : 1-6 Luc 8 : 4-8

    Chères paroissiennes, chers paroissiens, chers Amis,
    J’ai choisi cette parabole de Jésus pour notre réflexion de ce matin parce que je crois qu’elle pose une question essentielle aujourd’hui : Que faisons-nous de notre vie ? Qu’est-ce que je fais de ma vie, de mon temps ? Est-ce que je m’occupe juste pour que le temps passe ? Est-ce que je me divertis pour ne pas m’ennuyer ?
    Que vais-je faire de mes prochaines années ? Qu’est-ce que je pourrais faire grandir en moi ? Qu’est-ce que je pourrais développer pendant les années qui me restent à vivre ?
    Dans la parabole du semeur, Jésus nous confronte à ces questions, il nous pousse à la réflexion, tout en posant quelques bases : il y a trois conditions pour faire une récolte. (i) du grain doit être semé. (ii) les conditions atmosphériques doivent permettre la croissance. (iii) le terrain doit être favorable.
    A propos du grain, Jésus nous dit qu’il tombe déjà. Le semeur est sorti et il ne cesse de semer. Dieu est généreux, la vie est généreuse, le grain tombe partout, quel que soit l’état de la terre.
    A propos des conditions atmosphériques, Jésus dit peu de choses, si ce n’est que le soleil est impitoyable. Oui, les conditions de vie sont rudes, la vie est difficile, elle est pleine d’épreuve à traverser. Autant de raisons pour se préparer à les affronter.
    C’est à propos du terrain que Jésus développe ses propos. Nous sommes le terrain qui reçoit le grain. Mais nous sommes aussi le paysan qui travaille cette terre. Le paysan fait un avec sa terre. Il vit sur cette terre et de sa terre. Sa vie dépend de son travail. De son travail dépend la récolte ou la famine. La terre est ici la métaphore, l’image de notre existence et de la façon dont nous la menons, dont nous en prenons soin ou la négligeons. Chaque grain est une occasion de faire quelque chose de sa vie, de son existence.
    A propos de cette terre, Jésus nous en décrit quatre types, quatre types de terrain. En faisant cela, il nous révèle trois types d’obstacles à la foi, à la vie spirituelle, trois types d’obstacles à notre croissance spirituelle.
    A. Le premier type de terrain, c’est le bord du chemin sur lequel tombe le grain. Un chemin, c’est de la terre tassée par le passage, par le piétinement des gens. La terre a tellement été piétinée qu’elle n’est plus capable de s’ouvrir au grain, ni même à l’eau. Une vie aussi fermée révèle beaucoup de souffrances. Que faut-il avoir enduré pour éprouver la nécessité de se munir de boucliers ou de carapaces imperméables à toute parole généreuse, à tout geste de sympathie, à tout espoir d’être touché sans être blessé !
    Pourtant le grain y tombe, Dieu a toujours un espoir. L’espoir que cette terre piétinée puisse être labourée, protégée par une clôture, et voir lever une herbe verte annonciatrice d’une belle moisson.
    B. Le deuxième terrain est pierreux. J’y vois un terrain qui n’a pas été préparé pour recevoir le grain. Le paysan n’a pas jugé que l’effort d’enlever les pierres en valait la peine. C’est une attitude courante de nos jours. C’est la recherche d’un satisfaction maximale pour un effort minimal. « Tout, tout de suite et sans effort. »
    Des projets germent, mais sont abandonnés par manque de motivation, d’énergie. On se lance dans diverses choses, mais on se décourage, on passe à autre chose… et on ne récolte jamais de fruits. On ne prend pas le temps ni l’énergie d’affronter les obstacles de la vie.
    Et pourtant le grain est semé, il est présent et il ne demande qu’à porter du fruit. Il manque au paysan la persévérance et la confiance d’aller jusqu’au bout, jusqu’au moment de la récolte.
    C. Le troisième terrain est celui envahit par les ronces. La ronce est aux plantes ce que le coucou est aux oiseaux. Elle représente tout ce qui envahit notre vie lorsqu’on ne lutte pas vigoureusement contre. C’est tout ce qui vient se loger quand on laisse du vide. Vous savez comme moi à quelle vitesse viennent les mauvaises herbes sur une plate-bande lorsqu’on la néglige. C’est pareil dans nos vies.
    Pourtant le grain nous est confié et il est bien plus précieux que la ronce ou les mauvaises herbes. La ronce pousse là où le paysan est apathique, négligent, là où il baisse la garde, abandonne sa vigilance. Certains grains donnent des pousses, mais elles ne parviennent pas à maturité.
    D. Enfin vient le quatrième terrain. Celui qui a su ameublir sa terre, ôter les pierres et chasser les ronces, celui-là va voir germer le grain, pousser la tige, grossir l’épi et mûrir de nouveaux grains. Il porte du fruit dit Jésus.
    Là, on peut entendre dans nos têtes la liste de ce que peuvent être ces fruits : altruisme, générosité, dévouement, etc… Eh bien, Jésus ne donne aucun exemple. Jésus n’a pas ouvert d’hôpital, il n’a pas ouvert une banque de micro crédit, même s’il n’aurait pas blâmé ces attitudes. Non, Jésus a formé des disciples pour annoncer la bonne nouvelle. Il ne les a pas formés, en fait, il les a transformés.
    Ce qu’il attend de nous, c’est que nous nous ouvrions à sa parole pour qu’elle nous transforme à notre tour. Cette transformation, c’est son travail, c’est le travail de Jésus. C’est lui qui sème et qui fait pousser le grain.
    Notre travail, c’est de nous ouvrir en lâchant les vieilles carapaces.
    Notre travail, c’est de nous préparer en ôtant les cailloux qui font obstacles à notre persévérance.
    Notre travail, c’est de lutter contre ce qui nous détourne de l’appel du Christ à l’accueillir.
    Avec cela, le grain de sa Parole se développera en nous, portant du fruit, sans que ce soit un effort pour nous. Le grain tombe partout. L’occasion est là à chaque instant. Sachant cela, que vais-je faire de ma vie ? Que vais-je faire grandir en moi et autour de moi ?
    Jésus ne définit jamais ce que sont ces fruits. Il nous laisse à chacun le soin de découvrir ce que sont et seront les fruits particuliers de notre existence et avec qui nous les partagerons.
    Amen
    © 2006, Jean-Marie Thévoz

  • Luc 8. Des femmes parmi les disciples de Jésus, à propos du Da Vinci Code

    Luc 8
    3.7.2005
    Des femmes parmi les disciples de Jésus
    Luc 8 : 1-3 Luc 24 : 1-12

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous sommes entrés dans l'été et le début des vacances scolaires. Pendant cette période d'été, j'ai pris l'habitude depuis quelques années de proposer une suite de prédications sur un thème. Cette année, je ne serai pas seul à suivre ce thème. Autant Georges Blanc — qui viendra prêcher ici les 10 et 31 juillet — qu'Anne Lelièvre en août, nous allons centrer nos prédications sur la place de la femme dans la Bible ou le Nouveau Testament.
    Aujourd'hui, de vais essayer de brosser un portrait d'ensemble — mais limité au temps de Jésus et de la première Eglise. D'un point de vue général, au premier siècle de notre ère, en Palestine occupée par les romains, la situation des femmes se présente comme ceci :
    Elles ont un statut de dépendance vis-à-vis de l'homme le plus proche par la parenté : la fille est sous tutelle de son père, la femme de son mari, la veuve de son frère ou de son fils. La femme a un rôle de gardienne du foyer et n'en sort que pour les tâches en lien avec le foyer : achats au marché, aller au puits, accompagner son mari. C'est la règle générale.
    Toutes les femmes ne s'y soumettent cependant pas, notamment sous l'influence des mœurs grecques ou romaines plus libres. Mais vous pouvez imaginer la somme de regards de travers et de désapprobation qui pouvaient s'abattre sur elles. Une femme libre, qui s'affranchissait de sa tutelle, était une femme dangereuse, une femme de mauvaise vie. Le simple fait de vouloir accéder au savoir des hommes — au savoir contenu dans la Torah — pouvait leur valoir cette "mauvaise" réputation.
    Les femmes étaient donc marginalisées, comme elles l'étaient dans le Temple, puisqu'elles n'avaient accès qu'à la cour des femmes et pas au bâtiment où avaient lieu les sacrifices. Bien sûr, les femmes n'avaient pas non plus accès à des fonctions publiques ou religieuses.
    C'est dans ce contexte social là qu'il faut lire les évangiles et voir comment Jésus aborde ou accueille les femmes et quelles places il leur donne dans son environnement.
    Les quatre Evangiles ont leur perception propre de la place des femmes et pour ne pas aplatir leurs différences, je vais me concentrer sur l'Evangile de Luc. Luc est particulièrement intéressant, par rapport à Matthieu ou Marc, parce qu'il est celui des Evangiles qui offre le plus de textes, de récits, faisant intervenir des femmes.
    Dans l'Evangile de l'enfance (chap 1-2) Luc fait intervenir Marie et sa cousine Elisabeth, puis Anne la prophétesse. Ensuite, pendant le ministère de Jésus, on trouve, exclusivement chez Luc, ces épisodes avec des femmes : la belle-mère de Pierre, que Jésus guérit (4:38-39); la veuve de Naïm dont Jésus ressuscite le fils (7:7-11); la femme — de mauvaise vie — qui pleure sur les pieds de Jésus chez Simon (7:36-50); la liste des femmes qui suivent Jésus depuis le début (8:1-3); Jésus chez Marthe et Marie (10:38-41); Jésus guérissant une femme le jour du sabbat (13:10-17); la drachme perdue (pendant féminin du mouton perdu) (15:8-10); la veuve face au juge inique (18:1-9); et finalement l'exhortation — pendant le chemin de croix — de Jésus aux "femmes de Jérusalem" (23:27-31). Tous ces textes n'apparaissent pas chez Matthieu ni chez Marc.
    A partir de là, on pourrait facilement dire que Luc est le grand défenseur de la cause des femmes dans le Nouveau Testament. Mais cela n'est pas si simple. Luc est beaucoup plus ambivalent.
    En positif : oui, Luc donne de la place aux femmes, il est même le seul à mentionner que des femmes — dont trois sont nommées — suivent Jésus depuis le début de son ministère. Cette mention précoce est significative, elle doit nous rappeler que chaque fois que Luc parle de "disciples", il faut entendre qu'il y a des femmes parmi eux. D'ailleurs, chez Luc (plus que chez Matthieu ou Marc) le terme "disciple" ne désigne pas seulement les Douze apôtres, mais tous ceux qui suivent Jésus, puis appartiennent à l'Eglise. Dans le livre des Actes — qui est la suite de l'Evangile de Luc — ceux qui adoptent la foi chrétienne sont aussi appelés des disciples.
    Lorsque Luc parle des gens qui entourent Jésus, on observe qu'il décrit des cercles concentriques. Il y a d'abord les Douze disciples, puis les "autres disciples" (souvent très nombreux, Lc 6:17) puis la foule à qui Jésus parle. Ici (Lc 8:2-3) on observe, aussi pour les femmes, ces cercles concentriques. Il y a trois femmes qui portent des noms : Marie de Magdala, Jeanne, la femme de Chuza et Suzanne, puis plusieurs autres femmes qui servent la communauté autour de Jésus et Jésus lui-même.
    On peut donc en déduire qu'à côté des Douze, il y avait des femmes (ces trois et les trois qu'on retrouve nommées devant le tombeau vide Lc 24:10, au moins) et que ces femmes avaient le statut de disciples. Voilà pour les points positifs. Il y en a aussi des négatifs.
    Lorsque Luc reprend des récits qui mettent en scène des femmes, il s'arrange pour ne pas leur donner la parole ou leur retirer la parole (ou leurs pensées) alors qu'elles parlent ou pensent chez Matthieu ou Marc (Lc 8:27 // Mt 9:21 et Mc 5:28). Cela est particulièrement clair dans les récits qui suivent la résurrection. Alors que chez Matthieu et Marc les femmes qui découvrent le tombeau vide sont chargées de la mission d'aller annoncer la bonne nouvelle aux disciples-hommes (Mt 28:7 et Mc 16:7) chez Lc, elles ne reçoivent pas cet ordre (24:7-8). Les femmes vont tout de même en parler aux disciples — Luc ne peut pas échapper à ce qui s'est réellement passé — mais les disciples sont incrédules !
    On voit donc Luc — dans son travail rédactionnel — diminuer le rôle des femmes et tenter de les confiner dans le silence. Quel est le message que cette ambivalence nous envoie ?
    D'abord, cela nous rappelle que tout écrit est influencé par la culture et les conditions sociale dans lequel il est baigné. Cela nous invite à rechercher chaque indice qui peut nous signaler un biais, pour tenter de retrouver une image plus originale. Oui, les Evangiles ont été rédigés par des hommes et ils portent certaines marques dont nous devons être conscient aujourd'hui. Si Luc ne voulait pas que les femmes prennent la paroles dans les assemblées de son temps — et là il est proche de Paul qu'il a fréquenté — cela ne signifie pas qu'il faut en faire une règle éternelle.
    Ensuite, si Luc se sent obligé — là où il le peut — de minimiser ou diminuer le rôle et la place des femmes dans l'entourage de Jésus, c'est que Jésus lui-même leur a fait, leur a donné une place considérable ! Réalisons que cette place était plus grande que ce que les homme de son temps pouvaient supporter ! Et réalisons que si Luc doit minimiser leur place, c'est que la tradition a gardé en mémoire cette place considérable pour l'époque.
    Oui, pour Jésus, les femmes avaient leurs places comme disciples et peut-être même comme apôtres — pourquoi pas ? Cela nous l'analyserons le dimanche 17 juillet !
    Encore un dernier mot : il est frappant de voir qu'aujourd'hui les femmes s'investissent davantage dans l'Eglise ou dans la vie spirituelle que les hommes. On peut le voir comme la réussite de l'équilibrage que Jésus a voulu faire — et cela malgré des rédaction parfois "tendancieuses" ou "machistes."
    Mais l'idéal n'est pas d'avoir une Eglise de femmes, mais une Eglise où femmes et hommes ont des rôles et des places égales. Alors, un petit effort Messieurs ! La recherche de sens, la quête du sens de la vie et du bonheur n'est pas l'affaire des unes et pas des autres. Rechercher le sens de la vie, c'est l'affaire de l'humanité toute entière, hommes et femmes.
    Amen

    © 2006, Jean-Marie Thévoz

  • Exode 3. « Je SUIS qui je SUIS »

    Exode 3
    15.10.2000
    « Je SUIS qui je SUIS »
    Ex 3 : 1-8a+11-14 Phil. 2 : 5-11 Jean 10 : 11-15

    Chers Amis,
    J'aimerais vous parler aujourd'hui d'un NOM sous lequel Dieu s'est révélé dans l'Ancien Testament. Lorsqu'on lit l'Ancien Testament dans nos traductions françaises, on rencontre le plus souvent deux termes pour parler de Dieu : "Dieu" et "le Seigneur". Or Dieu s'est révélé sous des noms plus différenciés en hébreu :
    • un nom commun : El ou Elohim qui signifie : un dieu, ou Dieu, ou les dieux. On le retrouve dans certains noms propres comme "Israël" ou "Nathanaël".
    • un autre nom commun : Adonaï, qui signifie le maître ou le seigneur.
    • et un nom propre de quatre lettres, le Tétragramme : YHWH qu'on peut prononcer Yahweh ou Jéhovah. On le retrouve aussi dans des noms propres sous forme de Jo... (Jonathan ou Joël) ou sous forme de finale ...yaou (Nethaniaou).
    Ce nom de quatre lettres n'apparaît pas tel quel dans nos traductions françaises, car il est rendu le plus souvent par "le Seigneur." Dans la TOB, le Tétragramme est traduit tantôt par DIEU ou le SEIGNEUR, tout en lettres majuscules pour nous le signaler.
    D'où vient ce nom, ce Tétragramme ? Le texte de l'Exode, que vous avez entendu, tente d'en suggérer une explication. Dieu se révèle à Moïse d'abord en disant : "Je suis le Dieu (Elohim) de ton père, d'Abraham, d'Isaac et de Jacob" (Ex 3:6). Ensuite, lorsque Moïse demande à Dieu son nom, pour dire aux hébreux en Egypte qui l'envoie, Dieu ajoute "Je SUIS qui je SUIS" (Ex 3:14). Réponse énigmatique qui relève du jeu de mot explicatif.
    Je SUIS, en hébreu, s'orthographie presque comme le Tétragramme. C'est comme si Dieu disait "Je SUIS" et que l'être humain répondait "Il EST" (YHWH). Dieu se dévoile donc dans une phrase mystérieuse.
    1. « Je SUIS qui je SUIS » Cela paraît au premier abord comme le refus d'une explication, d'un dévoilement. "Je SUIS qui je SUIS et tu n'en sauras pas plus." Comme si Dieu, tout en disant un nom, ne voulait pas révéler son nom. "Je SUIS celui dont personne ne peut prononcer le NOM", c'est-à-dire que personne ne peut enfermer dans un nom, dans une définition, que personne ne peut mettre en cage, ne peut maîtriser pour utiliser la force à son profit. "Je suis un Dieu libre, un Dieu de liberté, un Dieu libérateur que personne ne tient sous sa puissance, dont personne ne peut se réclamer pour soutenir ou défendre ses propres intérêts ou justifier ses propres actes."
    2. En hébreu, le verte ETRE a un sens très fort, il signifie être présent, être-là, être avec, exister auprès de. Lorsqu'il s'agit simplement de dire "le ciel est bleu", l'hébreu n'utilise pas de verbe : "bleu, le ciel".
    Ainsi la réponse de Dieu à Moïse : "Je SUIS qui je SUIS" peut être entendue comme : "Je SUIS celui qui sera là. Ma présence vous accompagnera. C'est par ma présence, par mes actes auprès de vous que vous me connaîtrez. Mon nom n'est pas important, l'important c'est que j'agis, ma personne, ma nature vous la connaîtrez au travers de ce qui va vous arriver : Vous allez sortir de l'esclavage, d'Egypte. Votre propre existence va devenir le terrain de ma révélation. Regardez en vous-même ce qui se passe lorsque vous me suivez et alors vous connaîtrez qui je SUIS."

    3. Cet être-avec de Dieu avec son peuple se manifeste déjà devant le buisson ardent lorsque Dieu se révèle à Moïse. Dieu a choisi de se révéler à Moïse pour cette raison :

    "J'ai vu la misère de mon peuple en Egypte, je l'ai entendu crier sous les coups. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le libérer." (Ex 3:7-8).
    L'ETRE de Dieu révélé dans son NOM, c'est celui qui souffre avec celui qui souffre, qui compatit avec l'oppressé, qui est blessé avec celui qui reçoit les coups et les balles. C'est celui qui prend le parti de la victime contre l'oppresseur. Du temps de Moïse, Dieu prend le parti des hébreux contre Pharaon. Aujourd'hui, Dieu souffre avec ceux qui enterrent leurs morts tombés sous les balles.
    Le buisson d'épines n'est pas sans nous rappeler la couronne d'épines de celui qui s'est abaissé jusqu'à la mort sur la croix (Phil. 2:8). Jésus, Emmanuel, Dieu avec nous, Dieu avec tous ceux qui souffrent et ont besoin d'une présence, d'un réconfort, d'une libération ou d'une réhabilitation. Jésus, celui qui dit — dans l'évangile de Jean — Je SUIS le pain de vie, la lumière, la porte, le bon berger, la résurrection et la vie — est vraiment le Dieu qui se révèle dans le désert à Moïse.
    Dieu, Yahweh, est vraiment celui qui se révèle dans le buisson comme sur la croix, celui qui révèle son vrai visage, sa vraie nature, son vrai nom, son être véritable. L'évangile de Jean ne peut être plus clair lorsqu'il rapporte ces paroles de Jésus : "Lorsque vous aurez élevé sur la croix le Fils de l'Homme, alors vous reconnaîtrez que "je SUIS celui qui SUIS" (Jn 8 : 28).
    En Jésus, Dieu lui-même nous accompagne sur nos chemins de vie, dans nos moments de joie et de fête — avec les baptisés d'aujourd'hui — comme dans les moments de tristesse, de peine et de souffrance — avec les habitants de Gondo, aujourd'hui .
    Je SUIS-là, avec vous, aujourd'hui, dit Dieu.
    Amen

    © 2006, Jean-Marie Thévoz

  • Genèse 18. Abraham, moins audacieux que Dieu

    Genèse 18
    8.10.2000
    Abraham, moins audacieux que Dieu
    Gn 18 : 20-32 1 Tim 2 : 1-6 Mat. 5 : 43-46

    Chers Amis,
    Vous savez que les trois grandes religions monothéistes du monde se réclament d'être des descendants spirituels d'Abraham. Ces trois religions sont le judaïsme (0,2 % de la population mondiale*), le christianisme (33,1 %) et l'islam (19,8 %). Ces trois religions ensemble groupent donc 53 % des habitants de la terre. Plus de la moitié des habitants de cette planète se reconnaissent dans la figure d'Abraham, le père de la foi, l'héritier de la promesse de Dieu d'avoir une descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel ou les grains de sable des plages.
    Qu'a-t-il donc de si extraordinaire, cet homme, qui vivait il y a près de 4'000 ans ? Ce qu'il a de particulier, c'est d'abord que Dieu l'a choisi pour lui parler, pour se faire connaître. Ensuite, c'est parce qu'Abraham n'a pas hésité à interpeller Dieu, à lui demander de se dévoiler, de se montrer sous son vrai jour ! Abraham n'hésite pas à demander à Dieu qui il est. Est-il un Dieu qui est vraiment Dieu ou simplement un miroir des hommes avec tous leurs défauts et toutes leurs faiblesses ?
    C'est pourquoi, Abraham — ayant entendu le jugement porté contre la ville de Sodome — va questionner Dieu sur ses intentions :
    "Seigneur, vas-tu vraiment faire périr ensemble l'innocent et le coupable ?" (Gn 18:23)
    On sait que les humains ne sont pas très doués pour distinguer les innocents des coupables — même aujourd'hui, il suffit de se rappeler combien d'innocents ont péri sur la chaise électrique ou dans des camps d'extermination au XXe siècle. On sait aussi que la nature — à travers les catastrophes, les maladies ou les accidents — ne fait pas de tri. Ne dit-on pas "ce sont les meilleurs qui partent en premier" ?
    Alors, demande Abraham, Dieu n'est-il qu'une projection des idées de l'être humain sur le ciel ? Dieu n'est-il qu'un autre nom pour la nature impitoyable ? Abraham veut savoir ! Abraham va lutter, marchander avec Dieu pour tester son sens de la justice. Combien faut-il de "justes" pour sauver tout le monde ?
    Remarquez ici qu'il ne s'agit pas de savoir si l'on peut sauver les justes en laissant périr les coupables. L'enjeu est de sauver tout le monde, — les bons comme les méchants — grâce à la présence de quelques personnes différentes, des personnes qui vont faire la différence !
    On sent Abraham — en même temps — fort dans sa revendication et tremblant devant son audace ! Jusqu'où peut-on demander quelque chose à Dieu sans aller trop loin ?
    La négociation s'arrête à 10 justes. Mais le texte ne nous dit pas pourquoi on s'arrête à dix. Dieu n'a pas dit "Ça suffit" ou "Je ne descendrai pas plus bas". Simplement Abraham s'arrête de demander ! Est-ce la limite de Dieu ou est-ce la limite d'Abraham ? Abraham n'a-t-il pas, pour une fois, manqué de foi ?
    Ce que nous connaissons maintenant de Dieu au travers de la personne et de la vie de Jésus nous conduit à penser que la limite a été posée par Abraham et non par Dieu.
    Le Nouveau Testament nous apprend que le but de Dieu — incroyable pour les humains ! — c'est de descendre jusqu'à UN. Un seul juste et tous les humains sont sauvés. L'attitude d'un seul compte et peut tout bouleverser. L'attitude de chacun compte et fait la différence.
    Le Nouveau Testament nous confirme deux choses. Premièrement, Jésus-Christ a incarné cette figure du juste, mais elle a été rejetée par tous. Deuxièmement, Dieu ne fait pas de différences entre les gens. Comme le dit Jésus :

    "Dieu votre Père fait lever son soleil aussi bien sur les méchants que sur les bons, il fait pleuvoir sur ceux qui agissent bien comme sur ceux qui agissent mal" (Mat 5:45)
    Cette phrase suit immédiatement la recommandation de Jésus "d'aimer ses ennemis" (Mat. 5:44) "afin que vous deveniez les fils de votre Père" (Mat. 5:45). Dieu ne juge pas, Dieu ne fait pas de tri, il nous demande de l'imiter pour devenir comme lui. Par ces recommandations, Jésus nous demande de sortir de nos comportements communs, dirigés par nos intérêts ou une étroite réciprocité. N'importe qui apprécie celui qui l'aime, cela n'a rien d'extraordinaire. Mais Dieu ne se comporte pas comme cela, et il nous invite à autre chose.
    Il nous invite à cesser d'être simplement un miroir de l'attitude de l'autre, il nous invite à innover, à surprendre, à construire une attitude intérieure et à la maintenir face aux autres. Cela provoque inévitablement des changements puisque la plupart des gens réagissent en miroir.
    Face à Abraham, Dieu montre qu'il ne veut pas partager le monde entre innocents et coupables, entre bons et méchants. Si nous adoptons aussi cette attitude intérieure, nous allons devenir celui qui compte, celui qui fait la différence et le monde changera autour de nous.
    Amen

    * Chiffres tirés du "Calendrier interreligieux 2000/2001", Editions ENBIRO, CP 64, 1000 Lausanne 9.

    © 2006, Jean-Marie Thévoz

  • Jean 10. Les brebis connaissent la voix du berger et le suivent

    Jean 10
    31.10.1999
    Les brebis connaissent la voix du berger et le suivent
    Ps 23 Luc 15 : 1-7 Jean 10 : 1-5


    Cette semaine, avec quelques mamans, la discussion est venue sur une aventure qui arrive à tous les parents ou presque. Perdre un petit enfant dans un grand magasin. Vous savez comment cela se passe. Vous faites vos courses tout en surveillant l'enfant. Vous le sentez, vous le savez à côté de vous. Vous prenez un produit, vous jetez un coup d'oeil sur lui, vous mettez votre produit dans votre caddie, vous regardez votre liste, vous regardez votre enfant, mais là, tout à coup, il n'est plus là. Il n'est plus là où vous vous attendiez à le voir, il a disparu. Alors la peur monte, où est-il, où a-t-il disparu ? Il n'y a pas besoin d'être très anxieux pour sentir son coeur battre. On cherche et on finit par retrouver l'enfant derrière l'étalage suivant, ou alors il a été récupéré par une vendeuse et vous entendez : "Le petit Nicolas attend sa maman à la caisse principale". Le soulagement et la joie succède à la peur.
    Cette joie de retrouver celui qui avait disparu, nous pouvons la sentir. C'est celle que Dieu éprouve lui aussi chaque fois que quelqu'un revient vers lui, chaque fois qu'il retrouve quelqu'un qui s'était éloigné de lui. La joie des retrouvailles est exprimée dans le récit de la brebis perdue. Dans ce récit, cette parabole, l'évangéliste veut nous faire comprendre que Jésus est ce berger qui se préoccupe de chacun, de chacune d'entre nous, pour qu'il ne manque personne dans son troupeau, dans son peuple, dans son Eglise.
    Entre le berger et son troupeau, il y a une relation exceptionnelle et double. Cette relation est en même temps individuelle et collective. Jésus tient à son troupeau, à ce qu'il soit entier, complet, uni et il tient à chaque personne en particulier, il les connaît toutes par leur nom. L'individualité est respectée dans la communauté.
    Le berger connaît ses brebis par leur nom et les brebis connaissent la voix du berger. Cela est très important. Les brebis suivent le berger dont ils connaissent la voix, nous dit le récit de Jean. Connaissons-nous la voix de notre berger ? Dans le brouhaha des messages, des communications, des voix qui se font entendre dans notre société, dans nos vies, dans notre coeur, savons-nous reconnaître la voix, l'unique voix de notre berger ? D'après le récit de Jean, il y a plusieurs signes auxquels on reconnaît le vrai berger.
    (i) D'abord le vrai berger entre par la porte. Il n'entre pas par effraction, par la force, par violence. Il ne vient pas par des voies détournées. Il se présente à la porte, sans ruse et sans masque.
    (ii) Il respecte le gardien de la maison, le gardien du coeur. Notre gardien, nos protections intérieures reconnaissent Jésus comme celui qu'on peut laisser entrer parce qu'il se manifeste par le respect, la paix, la chaleur.
    (iii) Enfin, les brebis reconnaissent sa voix. Notre être intérieur a soif, mais il sait ce qui est bon pour lui. Il reconnaît ce qui est bon dans la voix de Jésus, ce qui est bon dans ses paroles, ce qui est bon dans son message. Certes parfois, nous avons reçu des messages tellement brouillés dans notre vie — où l'on nous a fait croire que ce qui nous arrivait ou ce qu'on subissait était bon pour nous alors que cela ne l'était pas — que nous avons besoin de réapprendre, comme un enfant, à reconnaître cette voix, ce message.
    "Les brebis reconnaissent sa voix et le suivent." Lorsqu'on entend la voix de Jésus, son message d'amour qui nous réchauffe, qui nous redonne notre estime de soi, qui nous rassure sur notre valeur inaliénable, alors, on n'a plus envie de le quitter, on n'a plus qu'un envie, c'est de suivre ce maître, ce berger qui nous donne ce dont nous avons le plus besoin pour vivre.
    Suivre Jésus n'est pas une discipline, n'est pas une exigence, c'est une conséquence d'avoir entendu en nous-mêmes sa voix rassurante, affermissante, valorisante. Dès ce moment, on ne voudra plus suivre n'importe qui d'autre qui entre par effraction, qui ne nous respecte pas, qui n'amène que la critique et le jugement, la désapprobation et la dévalorisation.
    Dans le brouhaha des messages, des voix qui se font entendre autour de nous, écoutons la voix du bon berger, "celui qui est venu pour que tous les humains aient la vie et l'aient en abondance" (Jean 10:10).

    Amen

    © 2006, Jean-Marie Thévoz

  • Jean 2. Jésus transforme l'eau de nos vies en vin

    Jean 2
    10.10.1999
    Jésus transforme l'eau de nos vies en vin
    Exode 17 : 1-7 Jean 2 : 1-11


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Vous venez d'entendre deux récits de miracles que j'aimerais mettre en parallèle ce matin. Bien sûr, lorsqu'on parle de miracle, cela fait tout de suite difficulté, parce que la première question qu'on se pose — dans ce siècle éclairé, logique et cartésien — c'est : Comment cela s'est-il passé ? Quel est le truc ? On court toujours le risque de prendre le miracle pour un tour de magie, même sans trucage puisque Dieu est tout-puissant !
    En fait, aujourd'hui, on n'a plus accès à ce qui s'est passé. Il est trop tard pour faire une enquête ! Aussi, je vous propose de ne pas nous aventurer sur le chemin de "qu'est-ce qui s'est vraiment passé?" mais de nous interroger plutôt sur la question : "Mais qu'est-ce que Jean a bien voulu nous dire en nous racontant cette histoire ?
    Je voudrais que nous passions de la recherche du merveilleux à la recherche du sens. En fait, Jean nous y invite lui-même par le vocabulaire qu'il utilise. Dans son évangile, il ne parle jamais de miracles, il parle de signes et le signe est là pour donner du sens. Plutôt que dans une enquête, entrons dans la quête du sens. Et le sens va se déployer en entrant dans le monde symbolique. Déplaçons-nous de la lecture à l'interprétation.
    Qu'est-ce que Jean a voulu nous dire ? Et bien, il le dit lui-même, à la fin de son récit : "Jésus fit apparaître ainsi sa gloire, et ses disciples crurent en lui" (Jn 2:11). L'important est qu'à travers cet événement, ce soit la présence, bien plus l'action, l'effet de l'action de Dieu qui soit visible. Dans les deux signes donnés, celui de Moïse et celui de Jésus, l'effet de l'action de Dieu, c'est que son peuple (ou les invités) voient leur soif étanchée après avoir passé par un temps de manque.
    Les deux récits ont la même structure. On commence par une situation qui est déclarée bonne (même si pour l'Egypte, les hébreux se mentent à eux-mêmes!). La situation évolue vers le manque, manque d'eau au désert, manque de vin à la fête. Puis la situation est transformée — par une intervention de Dieu — et la situation de chacun en est améliorée, mieux, renouvelée.
    Notez bien la remarque du maître de cérémonie au marié :
    "Tout le monde sert d'abord le meilleur vin, puis quand les invités ont beaucoup bu, on sert le moins bon. Mais toi, tu as gardé le meilleur vin jusqu'à maintenant." (Jn 2:10)
    Cette transformation, due à l'intervention de Dieu fait sortir de l'habitude, des dictons et des plaintes de chacun : "tout se dégrade", "ce n'est plus comme avant", "de notre temps", "aujourd'hui, voyez ces jeunes"... Non, aujourd'hui, le vin est meilleur qu'hier ! Aujourd'hui, l'eau du rocher vaut mieux que la pseudo-sécurité de l'Egypte.
    Ces deux signes nous parlent de ce que nous vivons, de ce que nous avons vécu et pouvons vivre. Ce sont des paraboles de la vie. Il y a eu un commencement, une enfance, une adolescence — était-ce plutôt l'Egypte ou les noces ? peu importe. En effet, peu importe quand cela arrive, cela finit toujours par arriver : la vie est dure, la vie est injuste et un jour on est frappé, on passe par l'épreuve, on souffre de frustration, de manque. Cela peut arriver au travers du travail, à l'intérieur du couple, dans la relation à ses enfants, par la maladie ou le deuil... cela arrive. Et souvent nous réagissons comme les hébreux, par Massa et Meriba, Querelle et Epreuve.
    La bonne nouvelle de l'évangile, (déjà en germe dans l'Ancien Testament) est de nous montrer que si l'épreuve du manque est inévitable (les hébreux se sont trouvés en Egypte sans que ce soit leur faute, le vin s'est mis à manquer) ce n'est pas la fin du chemin.
    Dieu ne nous laisse pas dans ce marasme. Dieu a des projets pour nous, pour nous sortir de là. Il nous montre que ce temps de manque peut devenir une occasion de grandir, d'évoluer, de cheminer, pour en sortir renouvelé et enrichi.
    Comprenez-moi bien, le message de ces deux récits n'est pas : il faut passer par des épreuves pour progresser. Ça c'est une théorie qui veut consoler à bon compte, mais qui est désespérante. Le message de Jean est inverse : lorsqu'on n'échappe pas aux coups durs de la vie, Dieu intervient d'une façon qui nous dépasse complètement et nous offre une "guérison", une "évolution" qui est meilleure que la situation première dont nous venions.
    Le meilleur vin est servi après le manque, telle est la gloire que Dieu manifeste. Telle est l'action, tel est l'effet de la présence de Jésus dans nos vies.
    Amen

    © 2006, Jean-Marie Thévoz

  • 9.10.06 / Ecclésiaste 11."Jette ton pain à la surface des eaux…"

    Ecclésiaste 11
    9.10.2006
    "Jette ton pain à la surface des eaux…"
    Eccl. 11 : 1-6 Marc 4 : 26-29

    "Jette ton pain à la surface des eaux…" (Eccl. 11:1) (Ecclésiaste = Qohélet dans la TOB)
    Cette phrase de l'Ecclésiaste m'est venue à l'esprit après être tombé sur le même mot, le même jour, dans deux livres très différents. Ce mot qui est venu à moi par ces deux canaux différents, c'est le mot "régenter."
    Je l'ai rencontré dans le livre "Voyages" de Michael Crichton*1. Cet écrivain est l'auteur de la série TV "Urgences." Son livre "Voyages" est une autobiographie où il raconte son parcours, son évolution, sa quête spirituelle. Et il raconte dans l'un de ses voyages sa rencontre avec des villageois de Pahang en Malaisie. Un cerf était arrivé dans ce village quelques années auparavant. Le cerf tuaient les chèvres qu'élevaient les habitants, mais ils avaient accepté le cerf et, du coup, ils avaient cessé de manger leur mets favori. Pour Michael Crichton, il aurait fallu faire quelque chose, trouver une solution, changer la réalité etc., jusqu'à cette prise de conscience : "Les événements s'étaient chargés de me rappeler que j'avais des limites — des limites assez grandes, dans l'ordre général des choses — et que même si je le pouvais, il ne rimait à rien d'essayer de tout régenter." (p.215)
    Ce mot "régenter" je l'ai retrouvé le même jour dans "Les âges de la vie" de Christiane Singer*2. A propos de l'âge adulte elle écrit ceci : "le seul pouvoir auquel il (= l'adulte) puisse prétendre : [est] non celui de régenter les choses, mais de les pénétrer, de les connaître de l'intérieur et de les reconnaître (…)." (p.152)
    Ces deux auteurs, américain pour le premier, française pour la seconde, arrivent au même constat : nous nous épuisons, notre société s'épuise à vouloir tout régenter, tout contrôler (ou faire semblant de contrôler). Et ce contrôle se fait au détriment de la rencontre, au détriment du foisonnement de la vie, au détriment de l'imprévu des relations. C'est en écho à cela que m'est venue à l'esprit cette phrase de l'Ecclésiaste : "Jette ton pain à la surface des eaux…" (Qo 11:1)
    Jusqu'à ce jour je n'avais jamais compris cette sentence. Elle n'avait pas de sens pour moi. Comme conseil cela semble même absurde ! "Jette ton pain à la surface des eaux et avec le temps tu le retrouveras." « Même pôs vrai ! » dirait Titeuf. L'eau va engloutir le pain, ou ce seront les canards, les cygnes et les mouettes qui viendront le manger !
    Alors — si cette phrase veut dire quelque chose — que signifie-t-elle ? La traduction de la Bible en français courant remplace carrément cette phrase par une sorte de commentaire : "Engage-toi dans une affaire, même en courant des risques, un jour tu peux y retrouver ton compte." Voilà qui est pragmatique et qui colle bien avec le néo-libéralisme de notre XXIe siècle. Mais l'Ecclésiaste veut-il vraiment nous dire de nous précipiter pour investir dans le capital risque ? Je sais que le Sage qu'est l'Ecclésiaste est souvent terre-à-terre, mais de là à donner des conseils financiers, j'en doute. Jésus aussi a parlé finance (le débiteur impitoyable (Mt 18 :23-34), l'économe infidèle (Luc 16 :1-9), le paiement de l'impôt à César (Mc 12 :14-17)…) mais c'était toujours pour nous apprendre quelque chose sur les relations humaines et la relation à Dieu. Je crois que là aussi il faut transposer, quitter la finance pour entrer dans les relations humaines.
    Dans ce passage, le Sage dépeint quelques attitudes humaines avec des sortes de maximes ou de slogans très courts*3.

    v.1 "Jette ton pain à la surface des eaux, plus tard tu le retrouveras" c'est la confiance dans la vie, dans le destin.
    v.2 "Donne à sept, à huit même, on ne sait jamais sur terre ce qui peut arriver" c'est la mutualité, la réciprocité.
    v.3 "Les nuages chargés se déverseront sur la terre. Si sous le vend du sud ou sous le vent du nord l'arbre tombe. Là où est tombé l'arbre, là il reste" c'est le poids de la réalité, les limites incontournables qui conduisent à la fatalité.
    v.4 Si tu t'inquiètes du vent, tu ne sèmeras jamais. Si tu scrutes les nuages, tu n'auras pas de récolte" c'est l'expression de la peur qui paralyse.
    v.5 Tu ne sais pas la route du vent, tu ne sais pas où sont les os dans le ventre d'une femme enceinte, ainsi tu ne sais pas ce que Dieu fait, lui qui fait tout" c'est le non-savoir de l'homme face à l'œuvre de Dieu.
    Autant de maximes, autant d'attitudes face à la vie, au destin. Mais il y a aussi une invitation, au début des vv.1 et 2 et à la fin avec le v.6 "Dès le matin sème la semence, jusqu'au soir ne laisse pas reposer ta main. Tu ignores ce qui réussira, ceci, cela, ou les deux à la fois ?" Face à la fatalité et aux contraintes de la réalité (v.3), face à la peur paralysante (v.4), face à l'appréhension d'un avenir incertain (v.5) le Sage invite à la confiance (v.1), à la réciprocité (v.2) et au faire teinté de lâcher prise (v.6). L'action a son sens en elle-même, ce sens ne dépend pas de son résultat. Une action peut ne pas atteindre son but, cela n'a pas d'importance, c'est le chemin qui compte. L'important, c'est de semer, le reste en nous appartient pas, le reste ne se laisse pas régenter. C'est ce que nous dit Jésus dans la parabole de la semence qui pousse toute seule (Mc 4:26-29).
    Le Sage nous invite à ne pas avoir peur des incertitudes, il nous pousse même à "surfer" sur le non-savoir (v.5). On ne sait pas, mais finalement tout est entre les mains de Dieu, qui fait tout. C'est donc l'occasion de lui faire confiance, de miser sur Lui qui — dans ce qui nous échappe — donne tout de même un sens. Régenter, contrôler, c'est prendre le risque de limiter les chances que Dieu intervienne dans l'imprévu, dans les coïncidences, par le hasard des situations et des chemins. Régenter, contrôler, c'est se fermer à la possibilité de rencontres imprévues, de surprises. Le sage — tout en connaissant le poids du réel et des contraintes — nous invite à faire confiance en la vie, en la générosité de la vie, en nous permettant des actes dont nous ne contrôlons pas le devenir.
    "Jette ton pain à la surface des eaux." Maintenant, cette phrase peut déployer, révéler son sens. Pour cela nous devons la décortiquer comme une noix et voir ce que chacun des mots renferme, chercher le deuxième sens des mots.
    Commençons par la fin :
    - les eaux. On trouve les eaux dans le poème de la création. Elles représentent le chaos primordial : "l'esprit de Dieu planait sur la surface des eaux"" (Gn 1:2). On les retrouve dans le déluge, porteuses de mort. On les retrouve avec la passage de la Mer des Roseaux s'ouvrant pour laisser passer les hébreux et s'abattant sur l'armée du pharaon. Les eaux, c'est donc la mort.
    - à la surface de… c'est exactement la même expression que dans Gn 1:2. C'est littéralement "contre la face, contre le visage. Il y a une forte opposition.

    Jusque là, la phrase se transforme en "Jette ton pain contre la face de la mort." Il faut encore traduire la première partie de la phrase.
    - le pain. Dans l'évangile de Jean, Jésus dit : "Je suis le pain descendu du ciel" (Jn 6:51) et aussi "Je suis le chemin, la vérité et la vie" (Jn 14:6). Le pain est la base de la vie, la vie terrestre. On peut donc remplacer pain par vie.
    - jeter. On va encore remplacer "jeter" pour que la traduction soit complète, enlever le côté "se débarrasser de" tout en gardant le côté dynamique. Optons pour "lancer", comme lancer un projet.
    Cela donne finalement : "Lance ta vie contre la face de la mort" qui peut aller aussi bien dans le sens de "Vis ta vie en faisant un pied de nez à la mort" ou "Lance-toi à l'assaut de la mort."
    Vivre, c’est le contraire de se laisser à aller à la fatalité, à l'inquiétude face au risque ou à l'ignorance. Vivre vraiment, c'est se lancer à l'assaut de tout ce qui tue la vie, combattre tout ce qui tue nos relations, écarter tout ce qui nous ferme à la rencontre, toutes les gènes de déranger les autres, de les bousculer. Jésus disait : "Celui qui cherchera à sauver sa vie la perdra, et celui qui la perdra la retrouvera" (Lc 17:33). C'est la même chose ! Jette ton pain à la surface des eaux, lance-toi dans la vie !
    Amen


    *1 Michael Crichton, Voyages, Paris, Robert Laffont, 1998 (Pocket 10524)
    *2 Christiane Singer, Les âges de la vie, Paris, Albin Michel, 1990 (Espaces libres 8)
    *3 citations selon la traduction : La Bible nouvelle traduction, Paris Bayard, 2001

    © 2006, Jean-Marie Thévoz

  • 2 Rois 5. L'histoire de Naaman, parabole du baptême

    2 Rois 5
    11.10.98
    L'histoire de Naaman, parabole du baptême
    2 Rois 5 : 1-17 Luc 17 : 11-19



    Ah ! ... Les réactions des gens en matière de religion sont vraiment imprévisibles !
    Vous avez entendu l'histoire de cet homme : Naaman. C'est un personnage haut placé — le général en chef du roi de Syrie. Il a donné la victoire à son pays — contre Israël d'ailleurs. C'est un héros national — pourtant, il est malheureux, il souffre, il est lépreux.
    Sur les conseils d'une fillette, avec une lettre de recommandation de son roi, il part chercher la guérison de sa maladie, le soulagement de ses maux au coeur du pays ennemi. Il doit être bien désespéré (ou alors est-il naïf ?) pour se laisser conseiller par une fillette et entreprendre un tel voyage. Et on l'imagine, descendre de Damas en Syrie, arriver en Galilée, près du lac, puis traverser la Samarie en direction de la capitale.
    Tiens, c'est exactement le même chemin qu'est en train d'emprunter Jésus, des siècles plus tard, lorsqu'il rencontre ce groupe de lépreux !
    Naaman arrive chez le roi, avec sa demande et sa lettre d'introduction. Mais le roi est paniqué, il croit que Naaman arrive pour lui tendre un piège. Heureusement, le prophète Elisée, le successeur d'Elie prend les choses en mains — à distance. Il convoque le général syrien chez lui.
    Mais lorsque Naaman est à la porte de la maison d'Elisée, il ne voit pas Elisée en personne, il reçoit seulement un message par l'entremise d'un serviteur. Un message très simple :
    "Va te plonger sept fois dans l'eau du Jourdain. Alors tu seras guéri et purifié" (2 R 5:10).
    Oh la la ! Naaman n'apprécie pas ! Il est furieux. Lui, le général en chef, le héros, il n'a même pas droit à une visite, un entretien, une prière, une imposition des mains ? On lui donne une simple ordonnance et sans consultation, sans auscultation ! Et qu'est-ce qu'il y a sur cette ordonnance ? "Prendre un bain chaque jour pendant sept jours."
    Naaman a fait près de 300 km. Est-ce pour ça ? De qui se moque-t-on ? Il est prêt à faire demi-tour, à rentrer au pays, quitte à rester désespéré. Pourtant, il va rester et exécuter l'ordonnance. Qu'est-ce qui le retient, qu'est-ce qui le fait changer d'avis ? Une parole pleine de bon sens de son serviteur :

    "Maître, si le prophète t'avait ordonné quelque chose de difficile, de compliqué, ne l'aurais-tu pas fait ? (2 R 5:13)
    L'être humain est imprévisible en matière de religion : plus c'est compliqué, plus c'est dur, plus c'est culpabilisant, plus il trouve que c'est sérieux, valable et véridique. Mais voilà, Dieu propose le contraire. Dieu n'a probablement pas son MBA. Il a fait les choses simplement : il offre tout, tout de suite, il s'offre lui-même, tout simplement, et il attend. Il attend notre réponse.
    Cette histoire de Naaman a souvent été lue comme une parabole du baptême. Dieu offre la vraie vie à ceux qui acceptent le baptême. La guérison spirituelle est offerte à tous, comme aux dix lépreux que Jésus rencontre. Il n'y a pas de conditions, c'est facile, c'est gratuit. Naaman en tant qu'il est à la fois un héros et un lépreux est le reflet de toute l'ambiguïté de la condition humaine. Tous nous sommes des héros et des lépreux, tous nous avons en nous la possibilité du bonheur et du malheur. Et Dieu nous offre, à travers un geste tout simple, à travers l'eau du baptême de nous tourner vers lui et de lui répondre.
    La réponse de Naaman va être de reconnaître qu'Elisée est le prophète du vrai Dieu :

    "Maintenant, je sais que sur toute la terre, il n'y a pas d'autre Dieu que celui d'Israël" (2 R 5:15).
    Voilà sa façon de confesser sa foi. Il ajoutera un autre geste : il chargera ses mulets de terre d'Israël pour y faire son lieu de culte, pour marquer son appartenance au peuple d'Israël.
    Parmi les dix lépreux guéris par Jésus, un homme confesse aussi sa foi en louant Dieu à haute voix et en faisant demi-tour pour revenir vers Jésus. Celui-ci a pris sa guérison au sérieux et saisi l'offre complète de Dieu. Tous ont été guéris, mais c'est à lui seul que Jésus peut confirmer : "Ta foi t'a sauvé" (Luc 17:19).
    L'offre de Dieu est généreuse, elle est abondante, elle est sans condition. Mais... la réaction des êtres humains face à ce cadeau de Dieu est imprévisible ! Recevoir paraît trop facile — ne serait-ce pas un piège comme le pense le roi d'Israël lorsqu'il reçoit la lettre de recommandation de Naaman? Recevoir paraît trop facile et pourtant, il n'y a qu'à dire MERCI.
    Qu'allez-vous faire de ce cadeau (le baptême) que vous avez demandé pour votre enfant ?
    Qu'allez-vous faire / qu'avez-vous fait de ce cadeau que vous avez reçu lors de votre propre baptême ?

    Amen

    © 2006, Jean-Marie Thévoz

  • Luc 10. Le bon Samaritain : prendre la perspective du blessé

    Luc 10
    4.10.98
    Le bon Samaritain : prendre la perspective du blessé
    Deut. 6 : 4-7 1 Jean 4 : 7-10 Luc 10 : 25-37


    "Que dois-je faire pour recevoir la vie éternelle? " Telle est la question qu'un maître de la loi vient poser à Jésus. Qui, aujourd'hui se soucie de son salut, de la vie éternelle ? Est-ce une préoccupation qui vous agite, qui mobilise votre énergie, qui guide vos choix journaliers ? Si le salut et la vie éternelle ne concerne que ce qui se passe après la mort, je pense que vous êtes peu à vous en préoccuper. Le sujet peut attendre quelques années... et je ne vous donne pas tort !
    Cependant, je pense que ces termes et la question du maître de la loi ne concernent pas des choses lointaines, mais une préoccupation que nous avons tous : Qu'est-ce qui est essentiel dans la vie ? Qu'est-ce qui va me rendre heureux ? Où est le bonheur ? Dès maintenant, pour aujourd'hui. Ces questions-là nous préoccupent, au moins sur certains plans pratiques : comment être heureux en famille, avec qui vais-je faire ma vie, quel métier dois-je choisir, etc. ?
    Jésus renvoie la question au maître de la loi. A lui de répondre. Et en bon connaisseur de la loi, de l'Ancien Testament, le maître de la loi extrait les textes que Jésus lui-même aurait choisi. On ne peut mieux faire ! Il résume toute la volonté de Dieu en deux phrases. Aussi Jésus le félicite-t-il et lui recommande simplement de mettre cela en pratique; le bonheur est dans ce double amour. Mais le maître de la loi se retrouve avec une contradiction sur les bras. Il pense en terme de loi, de commandement, et voilà que sa réponse lui ordonne d'aimer. On est là en plein paradoxe. Peut-on aimer sur ordonnance ?
    Insatisfait par cette réponse de Jésus, trop simple et trop paradoxale en même temps, le maître de la loi relance le débat. S'il s'agit d'aimer, qui dois-je aimer ? Et là, Jésus se met à raconter une histoire, l'histoire du bon Samaritain.
    Cette histoire je l'avais souvent lue ou entendue et elle me mettait toujours mal à l'aise. Je me demandais toujours, en l'entendant, qui de ces trois personnages j'étais ou j'allais être dans la vie. Est-ce que je réussirai à être un bon Samaritain ? Est-ce que j'y arriverai, est-ce que je serai assez bien, à la hauteur ? Je n'avais pas assez d'énergie à mettre dans ce rôle. Cette histoire me paralysait.
    Un jour, cependant, j'étais avec quelqu'un qui m'écoutait avec une attention particulière, cette attention qui permet de se confier et de regarder en soi, sans peur, avec vérité. Ce jour-là, j'ai vu les blessures laissées par mon enfance. Et un peu plus tard, cette histoire de Jésus m'est revenue en mémoire, mais complètement transformée. Je me suis vu dans l'homme blessé, au bord du chemin, voyant des gens qui passaient et se détournaient, indifférents à ma souffrance. Et d'autres qui se sont arrêtés. Ces personnes-là sont devenues mes prochains et ont formé ensemble le visage de Dieu pour moi. Depuis ce moment, j'ai senti renaître en moi les ressources et l'énergie de me tourner vers les autres. J'ai vu qu'aimer ne pouvait pas être un devoir, seulement une chance fantastique, une liberté offerte. Un chemin vers la vraie vie.
    Pour répondre à la question "Qui est mon prochain ?" Jésus ne propose pas un choix entre trois sortes de malheureux. Il nous invite à prendre la perspective du blessé et à chercher à partir de là qui est venu à son secours.
    N'importe lequel de ces trois hommes aurait pu s'arrêter. Un seul l'a fait. Pourquoi celui-ci plutôt que les deux autres ? Pourquoi le Samaritain, plutôt que le prêtre ou le lévite ? Le texte ne nous donne que deux indices, mais ils me semblent suffisant pour poser une hypothèse. L'homme était Samaritain et il a eu profondément pitié. Les Samaritains étaient des faux-frères ou des frères ennemis pour les juifs. Le Samaritain qui voyage en Judée est victime de rebuffades, de vexations, d'exclusions. Il est mal-aimé et il souffre de cette situation. Victime lui-même, le Samaritain est à même de percevoir la souffrance d'une autre victime, celle du blessé au bord du chemin.
    Le Samaritain ressent en lui la souffrance de l'autre, il ne peut y rester indifférent. Il obéit donc à ce signal, il ouvre son coeur et se met à aimer dans le concret en prenant soin du blessé. Le Samaritain a été blessé, il est capable de reconnaître un autre blessé qui a besoin de lui, comme le Christ blessé à mort sur la croix est capable de comprendre les détresses que nous traversons.
    Jésus, en terminant sa rencontre avec le maître de la loi, l'invite à faire de même, c'est-à-dire à découvrir en lui-même l'être blessé, afin d'être capable d'aller par les chemins et de reconnaître celui qui va devenir son prochain. Cette façon d'aimer est l'accomplissement de la loi.
    L'Eglise devait être le lieu de rassemblement de ceux qui se sont reconnus blessés et aimés, soignés, après quoi la mission de se tourner vers les autres devient facile.
    "Toi, va et fais de même" dit Jésus. Cette phrase veut dire : Vois où tu as été blessé par la vie, reçois l'amour qui peut guérir cette blessure et fait de cette blessure guérie ta force, ton terrain d'action ! La blessure guérie est un détecteur sûr et sensible des blessures semblables, elle sera un guide sûr à la rencontre de ton prochain.
    "Toi, va et fais de même" dit Jésus. Si tu es blessé, viens recevoir ta part d'amour.
    Si tu es guéri, va à la rencontre de ton prochain.
    Amen

    © 2006, Jean-Marie Thévoz

  • Matthieu 20. A nos manques, Dieu répond par l'abondance de ses dons

    Matthieu 20
    22.9.2002
    A nos manques, Dieu répond par l'abondance de ses dons
    Ps 145 : 13-21 Es 55 : 6-9 Mt 20 : 1-16

    Chères paroissiennes, chers paroissiens de nos communautés,
    Nous sommes invités — ce matin — à méditer sur cette parabole bien connue des "ouvriers de la 11e heure" et sur les paroles du prophète Esaïe qui rapporte des propos qui semblent sévères de la part de Dieu :
    "Vos pensées ne sont pas mes pensées, vos projets ne sont pas mes projets" (Es 55:8).
    Ces paroles sont comme une remise au pas de l'être humain, une remise en place, à sa juste place, de l'humain par Dieu. Il semble que — dans ces paroles — Dieu veuille nous rappeler toute la distance qu'il y a entre lui et nous, une distance aussi grande que celle qui sépare la terre du ciel, entendez : une distance infinie.
    Je pense qu'il faut prendre cette distance au sérieux, et reconnaître que nos systèmes de pensées ne sont pas ceux de Dieu, que nos projets de société ne sont pas ceux de Dieu, que nos idées sur la réalité ne sont pas celles de Dieu. Mais le prophète ne parle pas d'une distance infranchissable, qui serait une séparation de Dieu ! En effet, Esaïe a commencé son apostrophe en disant que Dieu "se laisse trouver" et "qu'il est maintenant près de nous" (Es 55:6).
    La distance entre Dieu et nous existe, mais elle n'est pas là où on la pense. La distance n'est pas une affaire kilométrique, elle est une affaire d'attitude ! Le prophète nous invite à ne pas créer nous-mêmes notre propre distance vis-à-vis de Dieu en projetant sur lui nos manières de penser.
    Cessons d'attribuer à Dieu nos raisonnements, nos sentiments, notre façon de considérer les choses. Dieu a sa propre façon d'agir, de raisonner, de considérer les situations. Et c'est ce qui est illustré dans la parabole des "ouvriers de la 11e heure."
    Jésus commence par dire : "Voici à quoi ressemble le Royaume des cieux." Comprenons aujourd'hui que cela signifie : "Je vais vous illustrer la façon de penser et d'agir de mon Père." Et que voit-on ? Un maître généreux. Non seulement il remplit son contrat en donnant la somme convenue, mais il arrondit vers le haut le salaire de tous.
    Évidemment, en terme de salaire horaire, c'est inéquitable ! Mais il faut savoir qu'une pièce d'argent par jour est la somme nécessaire pour nourrir sa famille ce jour-là. Le maître ne se préoccupe pas de savoir si son geste crée des inégalités, il est préoccupé par le sort de chaque ouvrier. Il veut que chacun puisse vivre et nourrir sa famille.
    Et le maître agit ainsi quoi qu'en pensent ceux qui l'observent. Les pensées des mécontents, des jaloux le laissent indifférent. "Etes-vous jaloux parce que je suis bon ?" dit-il seulement. Là est bien la question; là est bien la distance qui sépare les humains de Dieu !
    Lorsque nous voyons Dieu à notre image, nous projetons sur lui nos exigences de "bon droit", de rétribution. Nous projetons sur lui notre peur de manquer, notre angoisse d'être moins bien lotis que notre voisin. Ces pensées ne sont pas celles de Dieu. Et nous n'avons pas à les projeter sur lui.
    Hélas, trop souvent, en tant qu'Eglises, nous projetons cette image de Dieu aux yeux de nos concitoyens. Nous créons nous-mêmes la distance avec Dieu en plaçant des obstacles sur le chemin de ceux qui veulent s'approcher de Dieu. Combien de fois nos jugements rapides ou quelques mots critiques renvoient une personne à sa solitude ou son désarroi ? Combien de fois nos préjugés nous retiennent-ils d'offrir à quelqu'un le sourire ou la main tendue qui lui feraient du bien ? Combien de fois nos peurs ou nos rigidités institutionnelles mettent-elles un frein à l'oecuménisme ? Là où Dieu ouvre les bras pour accueillir tous les humains, nous mettons des obstacles, des barrières.
    Au lieu d'imaginer un Dieu à notre image, apprenons à nous réjouir de la bonté du Père, à nous réjouir de sa générosité et de l'abondance de biens qu'il donne à tous. C'est à nous d'adopter Dieu pour modèle, c'est le retournement auquel le prophète Esaïe nous invite et nous exhorte.
    Oui, nous avons peur du manque, peur de l'injustice. Oui, nous sommes envahis par la jalousie, mais Dieu n'est pas semblable. A notre manque il répond par l'abondance de ses dons. A notre peur de l'injustice, il répond par la réhabilitation des victimes et le soins de nos blessures. A notre jalousie, il répond que tous ses biens nous sont déjà donnés en Jésus-Christ (Luc 15:31).
    A nous de recevoir vraiment les paroles du prophète :

    "Tournez-vous vers le Seigneur,
    maintenant qu'il se laisse trouver.
    Faites appel à lui,
    maintenant qu'il est près de vous." (Es 55: 6)
    Tout ce dont Dieu dispose, il nous l'a déjà donné, apprenons à puiser à cette source pour être comblé de plénitude.
    Amen

    © 2006, Jean-Marie Thévoz